L'Europe veut elle encore lutter contre les discriminations?
Après
avoir imposé en 1991 aux Etats d'autoriser les Européens à accéder aux emplois
publics, après avoir impulsé une politique de lutte contre les discriminations,
l'Europe semble être au point mort.
Comment
lui donner un nouveau souffle ? Quels outils mettre en place pour une lutte
efficace dans chaque pays de l'Union ? Comment faire converger les forces
antiracistes européennes ?
En
son sein, l'Union européenne attache une grande importance au respect des
droits de l'Homme, en vertu du traité sur l'UE et de la Charte des droits
fondamentaux.
Reposant
sur des initiatives et des programmes tels que DAPHNé et PROGRESS, son action se concentre sur la lutte contre
les discriminations, le racisme et la xénophobie, et sur la protection des
groupes vulnérables, à savoir les enfants, les femmes et les minorités.
Et
pourtant, ce n'était pas et n'est peut-être toujours pas la mission essentielle
de l'Union.
La
lutte contre les discriminations n'était pas une exigence présente dans le
berceau de la Communauté économique européenne (CEE) et ne s'est imposée que
progressivement.
La
mise en œuvre des politiques de lutte contre les discriminations apparaît
souvent brouillonne et aux résultats
inégaux nécessitant des impulsions plus fortes.
Le
traité de Rome (1957) établissant la Communauté économique européenne (CEE)
était quasiment muet sur la protection des droits fondamentaux, hormis quelques
références au principe de non discrimination fondée sur la nationalité et à
certains droits des travailleurs.
D'une
part, l'existence d'une déclaration détaillée des droits serait apparue indue
car débordant le cadre strictement économique de la CEE, d'autre part, une
autre organisation, la Conseil de l'Europe, fondé plus tôt en 1949, était déjà
en charge de la protection des droits fondamentaux en Europe.
Pour
autant, l'absence de dispositions spécifiques pour la protection des droits
fondamentaux ne se traduisait pas par une absence de protection juridique: la
Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), devenue plus tard, en 1995,
la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), affirma à travers sa
construction jurisprudentielle, notamment à partir de 1969, que les droits
fondamentaux forment une part intégrante des principes généraux du droit dont
elle assure le respect.
Cependant,
malgré quelques initiatives dans les années 1970, la CEE souffrait de l'absence
d'une déclaration codifiée des droits.
Ce
n'est qu'après des débats longs et, il faut bien le dire, houleux que la Charte
des droits fondamentaux de l'Union fut proclamée le 7 décembre 2000 .
Cette
gestation difficile est due aussi à ce que l'on pourrait appeler un héritage
démocratique hétérogène et à une vision de la construction européenne toute aussi
hétérogène.
La
construction européenne est une entreprise pour le moins singulière: elle
associe des pays aux cultures, aux langues, aux traditions souvent bien
différentes, pays qui au cours de leur longue histoire se sont aussi souvent
affrontés. Ces différences se retrouvent également dans le rapport que chacun
de ces pays a avec les droits de l'Homme et, d'une manière plus large, avec la
démocratie.
N'oublions
pas que si certains pays avaient déjà connu une assez longue expérience
démocratique, comme la France, les pays du Bénélux, la Grande-Bretagne ou les
pays scandinaves, d'autres, en revanche, avaient traversé de sombres périodes
de dictature plus ou moins courtes, plus ou moins féroces ( 12 ans de nazisme
en Allemagne, 7 en Autriche, plus de 20 ans de fascisme en Italie, près de 40
ans de franquisme en Espagne, plus de 40 ans de salazarisme au Portugal, plus
d'un demi siècle de communisme dans les PECO, pays d'Europe centrale et
orientale).
Rien
d'étonnant donc à ce que les regards portés sur la défense des droits de
l'Homme, que la conscience de la nécessité de lutter contre toutes les formes
de discrimination ne soient pas identiques d'un pays à l'autre.
Prenons
un exemple parmi tant d'autres: la minorité sáme en Suède ou en Finlande est mieux reconnue,
mieux protégée que la minorité russophone en Lettonie ou en Estonie.
Le
poids de l'histoire, les expériences douloureuses vécues par des peuples
génèrent une approche différenciée, non homogène de la question du respect et
du développement des droits fondamentaux.
On
retrouve également cette différenciation dans la conception et le contenu donné
à la construction européenne. Si certains voient dans celle-ci un parachèvement politique en l'émergence
d'une Europe fédérale ("Fédération d'Etas-nations"), conception plus
ou moins partagée, avec des nuances, par les 6 pays fondateurs et peut-être
quelques autres de l'Europe du Sud principalement, d'autres n'y voient qu'un
grand marché économique et financier et de surcroît ouvert au reste du monde
(Grande-Bretagne, Autriche, pays nordiques et certains PECO).
Pour
ces derniers, et quels que soient leur rapport historique et culturel à la
démocratie et au respect des droits de l'Homme, l'Europe, c'est-à-dire pour eux
ce grand marché unique, n'a pas à se préoccuper de cette question qui n'est pas
de son ressort, certains mêmes, les plus libéraux d'entre eux arguant que dans
une économie de marché, et bien le marché, par ses mécanismes et principes de
concurrence pure et parfaite, pourvoit naturellement au respect des droits de
l'Homme et au bon fonctionnement démocratique …
Vision
bien idyllique et somme toute trop dogmatique pour emporter l'adhésion et par
voie de conséquence l'inaction des institutions européennes.
C'est
en effet à travers celles-ci, notamment la Commission européenne et le Conseil
européen, qu'ont été lancées depuis une bonne dizaine d'années plusieurs
initiatives.
Initiatives
qui, sous forme de directives, de décisions-cadres, de programmes ont pour but
d'introduire des normes à l'échelle européenne, tout en respectant le principe
de subsidiarité,
afin
d'homogénéiser les législations, les réglementations, les pratiques dans chacun
des pays de l'Union.
Citons,
à titre d'exemple:
-
les deux directives de l'année 2000 (2000/43/CE et 2000/78/CE)
interdisant les discriminations directes et indirectes fondées sur la race ou
l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge et
l'orientation sexuelle
-
l'initiative communautaire EQUAL de l'année 2000 également, visant à
promouvoir des pratiques nouvelles de lutte contre les discriminations et les
inégalités de toute nature sur le marché du travail
-
la décision-cadre de 2001 définissant des normes communes pour lutter
contre les délits racistes
-
la directive sur le principe de l'égalité de traitement hommes/femmes
de 2004 (2004/113/CE)
-
la décision 2007/252/CEE du Conseil établissant pour la période 2007-2013 le programme spécifique
"Droits fondamentaux et Citoyenneté" visant, entre autres, à
combattre le racisme et la xénophobie
-
le programme PROGRESS (2007-2013) qui finance la mise en œuvre
d'objectifs dans 5 grands domaines d'activité: emploi, protection et inclusion
sociales, conditions de travail, diversité, lutte contre les discriminations
-
la décision-cadre de 2008 sur la lutte contre certaines formes et
manifestations de racisme et de xénophobie.
En
outre, l'UE a lancé différents programme de protection de l'enfance (DAPHNE I,
DAPHNE II, DAPHNE III) qui s'inscrivent dans la défense des droits
fondamentaux.
Ces
initiatives n'ont pas toujours eu l'effet escompté.
Ainsi
pour ce qui concerne les deux directives de 2000 interdisant les
discriminations directes et indirectes, la Commission a pu constater des
changements importants dans la législation des Etats membres comme conséquence
directe de l'adoption de ces directives, mais elle déplorait que certaines
dispositions importantes n'avaient pas été transposées.
Si
l'Europe a posé le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes depuis
le traité de Rome et impose aux Etats-membres la lutte contre les
discriminations, les disparités entre les différents Etats-membres demeurant
importantes. Les femmes de l'UE sont loin d'être encore les égales des hommes
et ne sont pas plus égales entre elles. Les programmes pour l'égalité
salariale, la parité, l'articulation entre la vie familiale et professionnelle
peinent à être appliqués.
Il
importe donc de préserver et de développer les droits des Européens.
La
Charte de droits fondamentaux doit s'imposer juridiquement aux Etats membres.
Défendre
la démocratie et les droits de l'Homme au sein de l'Union est un impératif à
l'heure où en Hongrie, les libertés publiques et les droits civiques sont remis
en cause par une alliance entre la droite de Viktor Orban, membre du PPE, et l'extrême
droite nationaliste et xénophobe.
L'espace
de liberté, de sécurité et de justice, créé par l'Union, protège et promeut les
droits humains, les libertés civiles et politiques. L'Europe doit être capable
de sanctionner efficacement les atteintes aux droits fondamentaux. Le Conseil,
le Parlement européen et la Commission doivent se saisir de leur capacité
actuelle de sanctionner les Etats-membres qui bafouent les droits fondamentaux
de leurs citoyens, en appliquant l'article 7 du traité de Lisbonne, qui permet
de suspendre le droit de vote des Etats coupables au sein du Conseil.
Il
est impératif de renforcer les protections en faveur des personnes en situation
de handicap et contre toutes les discriminations, qu'elles soient fondées sur
les origines, la religion, les convictions philosophiques et politiques,
l'orientation sexuelle, dans l'emploi et dans toute la sphère sociale et
culturelle. Une vigilance particulière s'impose, dans la période, pour le
respect des droits LGBT. Il est donc impératif, là aussi, de faire aboutir la
directive "anti-discriminations".
La
population européenne des Roms est particulièrement victime de ségrégation,
dans l'accès à l'emploi, au logement, à l'école et à la santé. Les Etats
européens doivent assurer ensemble l'intégration des Roms et dénoncer fortement
les discriminations à leur encontre.
Lutter
contre les discriminations à l'échelon européen, c'est aussi sacraliser un
budget ambitieux pour financer des outils indispensables comme le fonds social
européen ou le Plan européen d'aide aux plus démunis, ainsi que toutes les
mesures d'accès aux services universels (santé, éducation, logement).
Enfin,
le traité de Lisbonne établit un nouveau droit, qui permet aux citoyens de se
faire entendre sur les questions européennes : l’initiative citoyenne
européenne entrée en vigueur le 9 mai 2012 .
L’initiative
citoyenne européenne (ICE), innovation du traité de Lisbonne, donne un droit
d’initiative politique à un rassemblement d’au moins un million de citoyens de
l’UE venant d’au moins d’un quart des pays membres. Par cette procédure, la
Commission européenne peut être amenée à rédiger de nouvelles lois dans les
domaines relevant de ses attributions, mais n’y est pas forcée.
Il
y en a une demi-douzaine en cours à l’heure actuelle : Fraternité 2020 –
Mobilité – Progrès – Europe (sur l’éducation en Europe), Right to water (sur
l’accès à l’eau), Un de Nous (sur la protection juridique de l’embryon), Stop
Vivisection ( sur l’abolition de l’expérimentation animale), Revenu de base inconditionnel
– Explorer une voie vers des conditions sociales émancipatrices dans l’UE (sur
la faisabilité d’un revenu de base au niveau européen), Arrêtons l’écocide en
Europe (sur la préservation des écosystèmes).
Outil
direct à disposition des citoyens, l’initiative citoyenne européenne est donc
aujourd’hui une réalité, mais faut-il encore que cet outil soit connu des
citoyens : l’UE doit soutenir activement les ICE, en les rendant plus
accessibles aux citoyens, plus simples d’usage et en agissant pour que la
Commission s’en saisisse effectivement.
La
dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit et les
droits de l’Homme : ces valeurs fondamentales de l’Union européenne sont
énoncées dès les premières pages du traité de Lisbonne. Elles sont communes à
tous les Etats membres et tout pays européen souhaitant devenir membre de
l’Union doit les respecter.
La
promotion de ces valeurs, de la paix et du bien-être des peuples de l’UE compte
désormais parmi les principaux objectifs de l’Union. Ces objectifs généraux
sont assortis d’objectifs plus détaillés, visant notamment à promouvoir la
justice et la protection sociale et à lutter contre la discrimination et
l’exclusion sociales.
La
réalisation de ces objectifs dépend de la volonté, de l’organisation et de la
mobilisation des citoyens dans chaque pays de l’Union par le rôle que peuvent
jouer diverses associations dans la sensibilisation et la mobilisation du
public.
L’expression
des attentes des citoyens passe aussi par une véritable et profonde
démocratisation des institutions européennes.
Madeleine
NGOMBET BITOO
Pierre JACQUET
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