lundi 2 septembre 2013

L'Europe et la lutte contre les discriminations



L'Europe veut elle encore lutter contre les discriminations?

Après avoir imposé en 1991 aux Etats d'autoriser les Européens à accéder aux emplois publics, après avoir impulsé une politique de lutte contre les discriminations, l'Europe semble être au point mort.
Comment lui donner un nouveau souffle ? Quels outils mettre en place pour une lutte efficace dans chaque pays de l'Union ? Comment faire converger les forces antiracistes européennes ?


En son sein, l'Union européenne attache une grande importance au respect des droits de l'Homme, en vertu du traité sur l'UE et de la Charte des droits fondamentaux.
Reposant sur des initiatives et des programmes tels que DAPHNé et PROGRESS, son action se concentre sur la lutte contre les discriminations, le racisme et la xénophobie, et sur la protection des groupes vulnérables, à savoir les enfants, les femmes et les minorités.
Et pourtant, ce n'était pas et n'est peut-être toujours pas la mission essentielle de l'Union.
La lutte contre les discriminations n'était pas une exigence présente dans le berceau de la Communauté économique européenne (CEE) et ne s'est imposée que progressivement.
La mise en œuvre des politiques de lutte contre les discriminations apparaît souvent brouillonne  et aux résultats inégaux nécessitant des impulsions plus fortes.

Le traité de Rome (1957) établissant la Communauté économique européenne (CEE) était quasiment muet sur la protection des droits fondamentaux, hormis quelques références au principe de non discrimination fondée sur la nationalité et à certains droits des travailleurs.
D'une part, l'existence d'une déclaration détaillée des droits serait apparue indue car débordant le cadre strictement économique de la CEE, d'autre part, une autre organisation, la Conseil de l'Europe, fondé plus tôt en 1949, était déjà en charge de la protection des droits fondamentaux en Europe.

Pour autant, l'absence de dispositions spécifiques pour la protection des droits fondamentaux ne se traduisait pas par une absence de protection juridique: la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), devenue plus tard, en 1995, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), affirma à travers sa construction jurisprudentielle, notamment à partir de 1969, que les droits fondamentaux forment une part intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect.

Cependant, malgré quelques initiatives dans les années 1970, la CEE souffrait de l'absence d'une déclaration codifiée des droits.

Ce n'est qu'après des débats longs et, il faut bien le dire, houleux que la Charte des droits fondamentaux de l'Union fut proclamée le 7 décembre 2000.

Cette gestation difficile est due aussi à ce que l'on pourrait appeler un héritage démocratique hétérogène et à une vision de la construction européenne toute aussi hétérogène.

La construction européenne est une entreprise pour le moins singulière: elle associe des pays aux cultures, aux langues, aux traditions souvent bien différentes, pays qui au cours de leur longue histoire se sont aussi souvent affrontés. Ces différences se retrouvent également dans le rapport que chacun de ces pays a avec les droits de l'Homme et, d'une manière plus large, avec la démocratie.
N'oublions pas que si certains pays avaient déjà connu une assez longue expérience démocratique, comme la France, les pays du Bénélux, la Grande-Bretagne ou les pays scandinaves, d'autres, en revanche, avaient traversé de sombres périodes de dictature plus ou moins courtes, plus ou moins féroces ( 12 ans de nazisme en Allemagne, 7 en Autriche, plus de 20 ans de fascisme en Italie, près de 40 ans de franquisme en Espagne, plus de 40 ans de salazarisme au Portugal, plus d'un demi siècle de communisme dans les PECO, pays d'Europe centrale et orientale).

Rien d'étonnant donc à ce que les regards portés sur la défense des droits de l'Homme, que la conscience de la nécessité de lutter contre toutes les formes de discrimination ne soient pas identiques d'un pays à l'autre.

Prenons un exemple parmi tant d'autres: la minorité sáme en Suède ou en Finlande est mieux reconnue, mieux protégée que la minorité russophone en Lettonie ou en Estonie.

Le poids de l'histoire, les expériences douloureuses vécues par des peuples génèrent une approche différenciée, non homogène de la question du respect et du développement des droits fondamentaux.

On retrouve également cette différenciation dans la conception et le contenu donné à la construction européenne. Si certains voient dans celle-ci  un parachèvement politique en l'émergence d'une Europe fédérale ("Fédération d'Etas-nations"), conception plus ou moins partagée, avec des nuances, par les 6 pays fondateurs et peut-être quelques autres de l'Europe du Sud principalement, d'autres n'y voient qu'un grand marché économique et financier et de surcroît ouvert au reste du monde (Grande-Bretagne, Autriche, pays nordiques et certains PECO).

Pour ces derniers, et quels que soient leur rapport historique et culturel à la démocratie et au respect des droits de l'Homme, l'Europe, c'est-à-dire pour eux ce grand marché unique, n'a pas à se préoccuper de cette question qui n'est pas de son ressort, certains mêmes, les plus libéraux d'entre eux arguant que dans une économie de marché, et bien le marché, par ses mécanismes et principes de concurrence pure et parfaite, pourvoit naturellement au respect des droits de l'Homme et au bon fonctionnement démocratique …

Vision bien idyllique et somme toute trop dogmatique pour emporter l'adhésion et par voie de conséquence l'inaction des institutions européennes.

C'est en effet à travers celles-ci, notamment la Commission européenne et le Conseil européen, qu'ont été lancées depuis une bonne dizaine d'années plusieurs initiatives.

Initiatives qui, sous forme de directives, de décisions-cadres, de programmes ont pour but d'introduire des normes à l'échelle européenne, tout en respectant le principe de subsidiarité,
afin d'homogénéiser les législations, les réglementations, les pratiques dans chacun des pays de l'Union.

Citons, à titre d'exemple:

-          les deux directives de l'année 2000 (2000/43/CE et 2000/78/CE) interdisant les discriminations directes et indirectes fondées sur la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge et l'orientation sexuelle
-          l'initiative communautaire EQUAL de l'année 2000 également, visant à promouvoir des pratiques nouvelles de lutte contre les discriminations et les inégalités de toute nature sur le marché du travail
-          la décision-cadre de 2001 définissant des normes communes pour lutter contre les délits racistes
-          la directive sur le principe de l'égalité de traitement hommes/femmes de 2004 (2004/113/CE)
-          la décision 2007/252/CEE du Conseil établissant pour la période 2007-2013 le programme spécifique "Droits fondamentaux et Citoyenneté" visant, entre autres, à combattre le racisme et la xénophobie
-          le programme PROGRESS (2007-2013) qui finance la mise en œuvre d'objectifs dans 5 grands domaines d'activité: emploi, protection et inclusion sociales, conditions de travail, diversité, lutte contre les discriminations
-          la décision-cadre de 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie.

En outre, l'UE a lancé différents programme de protection de l'enfance (DAPHNE I, DAPHNE II, DAPHNE III) qui s'inscrivent dans la défense des droits fondamentaux.

Ces initiatives n'ont pas toujours eu l'effet escompté.

Ainsi pour ce qui concerne les deux directives de 2000 interdisant les discriminations directes et indirectes, la Commission a pu constater des changements importants dans la législation des Etats membres comme conséquence directe de l'adoption de ces directives, mais elle déplorait que certaines dispositions importantes n'avaient pas été transposées.

Si l'Europe a posé le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes depuis le traité de Rome et impose aux Etats-membres la lutte contre les discriminations, les disparités entre les différents Etats-membres demeurant importantes. Les femmes de l'UE sont loin d'être encore les égales des hommes et ne sont pas plus égales entre elles. Les programmes pour l'égalité salariale, la parité, l'articulation entre la vie familiale et professionnelle peinent à être appliqués.

Il importe donc de préserver et de développer les droits des Européens.

La Charte de droits fondamentaux doit s'imposer juridiquement aux Etats membres.

Défendre la démocratie et les droits de l'Homme au sein de l'Union est un impératif à l'heure où en Hongrie, les libertés publiques et les droits civiques sont remis en cause par une alliance entre la droite de Viktor Orban, membre du PPE, et l'extrême droite nationaliste et xénophobe.

L'espace de liberté, de sécurité et de justice, créé par l'Union, protège et promeut les droits humains, les libertés civiles et politiques. L'Europe doit être capable de sanctionner efficacement les atteintes aux droits fondamentaux. Le Conseil, le Parlement européen et la Commission doivent se saisir de leur capacité actuelle de sanctionner les Etats-membres qui bafouent les droits fondamentaux de leurs citoyens, en appliquant l'article 7 du traité de Lisbonne, qui permet de suspendre le droit de vote des Etats coupables au sein du Conseil.

Il est impératif de renforcer les protections en faveur des personnes en situation de handicap et contre toutes les discriminations, qu'elles soient fondées sur les origines, la religion, les convictions philosophiques et politiques, l'orientation sexuelle, dans l'emploi et dans toute la sphère sociale et culturelle. Une vigilance particulière s'impose, dans la période, pour le respect des droits LGBT. Il est donc impératif, là aussi, de faire aboutir la directive "anti-discriminations".

La population européenne des Roms est particulièrement victime de ségrégation, dans l'accès à l'emploi, au logement, à l'école et à la santé. Les Etats européens doivent assurer ensemble l'intégration des Roms et dénoncer fortement les discriminations à leur encontre.

Lutter contre les discriminations à l'échelon européen, c'est aussi sacraliser un budget ambitieux pour financer des outils indispensables comme le fonds social européen ou le Plan européen d'aide aux plus démunis, ainsi que toutes les mesures d'accès aux services universels (santé, éducation, logement).

Enfin, le traité de Lisbonne établit un nouveau droit, qui permet aux citoyens de se faire entendre sur les questions européennes : l’initiative citoyenne européenne entrée en vigueur le 9 mai 2012.

L’initiative citoyenne européenne (ICE), innovation du traité de Lisbonne, donne un droit d’initiative politique à un rassemblement d’au moins un million de citoyens de l’UE venant d’au moins d’un quart des pays membres. Par cette procédure, la Commission européenne peut être amenée à rédiger de nouvelles lois dans les domaines relevant de ses attributions, mais n’y est pas forcée.

Il y en a une demi-douzaine en cours à l’heure actuelle : Fraternité 2020 – Mobilité – Progrès – Europe (sur l’éducation en Europe), Right to water (sur l’accès à l’eau), Un de Nous (sur la protection juridique de l’embryon), Stop Vivisection ( sur l’abolition de l’expérimentation animale), Revenu de base inconditionnel – Explorer une voie vers des conditions sociales émancipatrices dans l’UE (sur la faisabilité d’un revenu de base au niveau européen), Arrêtons l’écocide en Europe (sur la préservation des écosystèmes).

Outil direct à disposition des citoyens, l’initiative citoyenne européenne est donc aujourd’hui une réalité, mais faut-il encore que cet outil soit connu des citoyens : l’UE doit soutenir activement les ICE, en les rendant plus accessibles aux citoyens, plus simples d’usage et en agissant pour que la Commission s’en saisisse effectivement.

La dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit et les droits de l’Homme : ces valeurs fondamentales de l’Union européenne sont énoncées dès les premières pages du traité de Lisbonne. Elles sont communes à tous les Etats membres et tout pays européen souhaitant devenir membre de l’Union doit les respecter.

La promotion de ces valeurs, de la paix et du bien-être des peuples de l’UE compte désormais parmi les principaux objectifs de l’Union. Ces objectifs généraux sont assortis d’objectifs plus détaillés, visant notamment à promouvoir la justice et la protection sociale et à lutter contre la discrimination et l’exclusion sociales.

La réalisation de ces objectifs dépend de la volonté, de l’organisation et de la mobilisation des citoyens dans chaque pays de l’Union par le rôle que peuvent jouer diverses associations dans la sensibilisation et la mobilisation du public.

L’expression des attentes des citoyens passe aussi par une véritable et profonde démocratisation des institutions européennes.

Madeleine NGOMBET BITOO
Pierre JACQUET





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